Très belle lettre de Paul Claudel sur sa foi, écrite de Hué en Indochine
Paul Claudel (Villeneuve-sur-Fère, 1868/1955)Très belle lettre de Paul Claudel sur sa foi, écrite de Hué (Annam).
"Cher ami, En quittant Hanoï par ce temps qui aurait ressemblé cependant plutôt à une crise de larme (le Tonkin me semble le pays de ce sentiment spécial qu'on appelle la componction) je me suis senti le coeur rempli de joie. J'ai senti en moi la conviction que je n'étais pas venu dans ce pays inutilement. Mon cher ami, continuez courageusement dans le chemin où je sais que vous êtes engagé. La joie et de la vérité sont deux choses inséparables. Où il y a le plus de joie, c'est là où il y a le plus de vérité. Si vous vous intéressez à moi malgré mon énorme insuffisance, c'est parce que je suis en contact avec quelque chose d'inépuisable et de plus puissant que la tristesse, l'ennui, le doute et la mort. Le problème chrétien n'est pas surtout un problème métaphysique, c'est le sentiment d'amour, de confiance, de loyauté qui nous relie personnellement au Christ, notre Capitaine. "Pierre, m'aimes-tu?". Une fois que nous avons répondu bravement à cette question personnelle, et une fois pour toutes, tout le reste ne nous regarde plus. Après tout Dieu se suffit à lui-même et c'est son affaire de se justifier lui-même comme il le peut. Je crois qu'il n'est pas au dessus de cette tâche. La nôtre est de l'aimer et de croire en lui, mais de croire en lui pratiquement et en actes et non pas seulement en paroles en acceptant ses commandements et les moyens sacramentaux et autres qu'il a établis pour notre sanctification. Tout cela devient parfaitement clair avec un peu d'humilité, de réflexion et de temps. Notre conversation chez M. Toussaint a mis en mouvement chez moi, sur la décadence et l'insuffisance de la famille, sur la raison de cet événement universel, sur les conséquences qu'il implique, sur les moyens en grande partie matériels et architecturaux de les remplir, sur l'engin destiné à permettre la réalisation de la cellule sociale, toute une série d'idées qui dormaient en moi depuis les jours anciens de "La Ville". Je vais tâcher de les mettre au clair. Vous devriez aller au Carmel et causer avec les Prieurs, à qui j'annonce votre visite. Vous entendrez les voix d'un ange. Rien que lui prêter l'oreille derrière ce rideau et cette grille (j'ai failli m'éborgner l'autre jour avec une des pointes) est un ravissement. Je vous embrasse avec un grand sentiment de joie et avec la conviction que toutes les choses qui nous séparent encore et qui vous séparent du Christ ne sont pas assez fortes pour résister bien longtemps. Rappelez-moi au souvenir de votre soeur dont j'ai senti tout le temps sur moi les deux grands yeux pleins de questions".
Vendu