Belle et rare lettre de Frédéric Ozanam, fondateur de la Société Saint-Vincent de Paul, en convalescence aux Eaux-Bonnes
Frédéric Ozanam (Milan, 1813/1853)"Mon cher ami, votre bonne lettre est venue me trouver bien plus loin que vous ne pensez, bien loin, surtout de cette chère Bretagne qui me fit bon accueil, il y a deux ans. Tel que le voici, votre pauvre ami a failli passer de vie à trépas. il ne valait déjà pas grand-chose quand il vous vit partir à Pâques. Mais un mois après il prenait une pleurésie, d'un caractère fort mauvais, qui l'emmenait grand train, quand les soins d’un frère médecin et d’une femme excellente l’arrêtèrent en route. Sans figure, j’ai été gravement malade, et à la suite de deux mois de convalescence, on m’a condamné aux eaux des Pyrénées.
Je vous prie de croire que j’ai sollicité commutation de peine, et que je demandais S. Gildas. Mais mes juges inflexibles ont voulu me noyer dans l’eau douce au lieu de l'onde amère. Vous me voyez donc entre deux montagnes puisant à grands verres la source sulfureuse : franchement j’aimerais mieux votre cidre. Puis je grimpe à la suite des chèvres sur les rochers d'alentours pour digérer ce breuvage qui indigne mes entrailles. Il en résulte qu’on a des coliques, qu’on réveille tout ce qu’on peut avoir eu de douleurs plus ou moins rhumatismales, qu’on ne dort point la nuit : mais tout mieux, c’est quoi l’on reconnaît que le remède opère. Enfin le médecin vient de me déclarer que ma poitrine est parfaitement rétablie. Il n’y a plus à guérir que le reste de ma personne ravagée par les eaux, comme les flancs de la montagne par les torrents".
Il est accompagné de madame Ozanam et de sa fille, avec qui il compte ensuite se rendre à Biarritz pour y prendre les bains de mer ; "puis on m'exile dans le Midi pour tout l'hiver". "Les sauvages beautés du Pic du Midi ne nous font pas oublier les affections que nous avons laissées à Ker Ansker [Keransquer à Quimperlé] et à Ker Bertrand. Je vois avec joie que votre manoir s'élève, se décore et devient tout à fait digne de la châtelaine et du châtelain. Ah ! Que que nous eussions voulu y aller pendre la crémaillère en compagnie de notre ami Ampère, ce parfait imitateur du juif errant. Nous l’avons vu à son retour du Mexique aussi excellent, mais aussi vagabond que jamais. Je ne sais où il passera ses vacances, et il gémit déjà de passer l’hiver à Paris. Mais en même temps, il m'a montré dans ma maladie la tendresse la plus touchante [...]. Mais je suis bien fou de vous pousser à des lectures qui effaceraient à jamais de votre souvenir mes pauvres poètes franciscains. Rappelez-vous au contraire que ce sont des moines mendiants, et qui ne cesseront de vois importuner jusqu'à ce que vous leur ayez fait la charité d'un article. Ah! la plume ne messied point à la main qui tient la truelle. Ce sont les deux instruments des grands civilisateurs. Charlemagne en écrivait-il moins ses capitulaires, tandis qu'il bâtissait sa basilique d'Aix-la-Chapelle? Sans compter qu'il avait sur les épaules quelques millions de Saxons, de Lombards, de Sarrasins, tandis que votre repos n'est troublé que par les trois plus jolis enfants du monde [...]".
Il laisse ensuite la plume à Mme Ozanam qui complète la lettre de 2 pages, donnant des nouvelles de la santé fragile de Frédéric Ozanam qui décèdera l'année suivante.
Publiée dans les Lettres de Frédéric Ozanam, lettre n°LXXXIV (Tomme 11 des Oeuvres complètes, 1881, pp. 438-440).
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