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Clémence Royer propose une nouvelle expérience pour déterminer la nature du noyau terrestre en utilisant la Tour Eiffel

Clémence Royer (Nantes, 1830/1902)
Femme de sciences et philosophe, figure du féminisme, elle a traduit Darwin et introduit ses doctrines transformistes en France.

Type de document : lettre autographe signée

Nb documents : 1 - Nb pages : 4 pp. - Format : In-8

Lieu : "9 ter, boulevard Jourdan Paris"

Date : 18 septembre 1889

Destinataire : Sans

Etat : Bon

Description :

Importante et complexe lettre scientifique de Clémence Royer dans laquelle elle développe une proposition d'expériences utilisant la Tour Eiffel afin de déterminer la nature du noyau terrestre et son incidence sur les marées.

"Monsieur, permettez-moi de vous soumettre le plan d’observations intéressantes qui pourraient être faites en ce moment même sur la Tour Eiffel. On se demande depuis longtemps si le noyau terrestre est à l’état liquide ou un état solide. S'il est à l’état de fusion il doit exister une marée intérieure tendant à déformer l'ellipsoïde de révolution terrestre, pour en faire un ellipsoïde à trois axes différents, dont le grand axe équatorial coupe constamment les cercles méridiens, sur lequel culminent la lune et le soleil. C'est à dire que, deux fois par jour, surtout aux syzygie équinoxiales, chaque méridien terrestre devrait se gonfler et s’aplanir. Par conséquent, l’horizon de chaque lieu élevé, placé sur ce méridien devrait se rétrécir, quand sa courbe augmente et s'élargir, quand elle diminue.

D’après les hauteurs des marées sur nos côtes, on ne peut évaluer à plus de 10 mètres la variation de longueur du rayon terrestre qui pourrait en résulter pour nos latitudes. La variation d'étendue de l’horizon de la Tour Eiffel serait donc très petite. Cependant, certains sommets de montagne ou d’édifices pourraient devenir visibles à certaines heures du jour quand les autres vont à l’horizon rationnel, et restent invisibles aux heures intermédiaires, surtout vers les équinoxes.

Quelques faits appuient la supposition que cette variation existe. On m’a assuré qu’à Marseille, il est de notoriété traditionnelle, parmi les marins du port, qu’aux équinoxes, seulement, les Pyrénées deviennent visibles au coucher du soleil. De Lyon, on voit le Mont-Blanc, mais il est surtout visible le matin et le soir. Tout se passe donc comme si à ces mêmes moments, le méridien de la vallée du Rhône, s'aplatissait légèrement. Cette déformation périodique de l'ellipsoïde terrestre ne peut se produire que si sa croûte solide est assez mince pour flotter sur le noyau liquide et obéir à ses pressions. Si d’ailleurs il en était autrement, il se produirait, à chaque syzygie, mais surtout aux équinoxes et aux solstices, des tremblements de terre d’une périodicité bien plus évidente que celle qu’on observe.

Si ce mouvement existe, comme cette déformation des méridiens, symétrique par rapport au centre de gravité du globe, ne peut faire varier la verticale, elle ne peut changer le zénith astronomique et doit échapper aux constatations des astronomes.

Les observations à faire pour les constater seraient de deux sortes.

1° des observations directes à la lunette, renouvelées d'heure en heure, sur la visibilité plus ou moins grande de certains points de repères fixes, choisis aux quatre points cardinaux de l’horizon, tels que tours ou clochers, édifies, arbres ou sommets de montagne, qui seraient aperçus sur des parties variables de leur hauteur.

2° des observations photographiques, consistant à prendre, aux mêmes heures, des vues circulaires de l’horizon, qui seraient ensuite comparées au microscope.

Les variations de la réfraction atmosphérique, compliqueraient le problème, mais outre qu'on peut en tenir compte dans une certaine mesure, il n’y a aucune raison pour que la valeur de cette réfraction augmente aux syzygies ou aux équinoxes et diminue aux époques intermédiaires. Elle ne pourrait donc dissimuler l’existence de la variation à constater, pourvu que les observations fussent assez nombreuses, à intervalles réguliers. N'ayant aucun moyen de faire ces observations moi-même, je crois bien faire, Monsieur, de vous en soumettre le plan.
Si cette marée intérieure était constatée, elle devrait modifier notre théorie actuelle des marées océaniques ; car il [?] que les eaux cherchant toujours le plus court, rayon du globe, couleraient bi-quotidiennement des méridiens gonflés, vers les méridiens aplanis ; de sorte que la pleine mer théorique devrait avoir lieu, non plus quand les astres culminent, mais six heures après. Cela expliquerait qu’en effet la pleine mer n'ait lieu que 36 heures après les passages au méridien, en vertu d’une accumulation de la vitesse acquise des eaux ; comme dans un vase qu'on balance, l’amplitude maximum des oscillations se produit quand on arrête son mouvement. Bien des lacunes de la théorie actuelle des marées seraient ainsi comblées. Il y faudrait toujours tenir compte de l’action directe des des astres sur les eaux mais comme elle agirait en sens tout contraire, elle tendrait à atténuer le phénomène principal au lieu de le produire.

Vous m’excuser, j’espère, Monsieur, de la liberté que je prends de vous écrire, par l’importance que pourrait avoir la constatation d’un tel fait, et vous voudrez bien agréer l’expression de mes sentiments respectueux. Clemence Royer".

650,00

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