Longue lettre de Judith Gautier illustrée d’un dessin de sa villa de Saint-Enogat
Judith Gautier (Paris, 1845/1917)"Chère Mignonne. Il est bien entendu que nous êtes entièrement libre et que je n'ai jamais songé à vous contrarier en quoi que ce soit. Je comprends très bien que vous préfériez être chez vous et vous n'aviez pas à craindre de me fâcher le moins du monde, surtout, si comme vous me le promettez vous prenez tous vos repas chez moi. M [le peintre Alfred Mouillon (1832-1886)] vous cédera la place s'il ne veut pas céder autrement. Je crois d'ailleurs qu'il meurt d'envie qu'on le force à se réconcilier avec vous, la distance a du atténuer beaucoup les griefs que vous aviez l'un contre l'autre et qui je crois ne sont pas graves ; il n'est pas en tout cas aussi guéri que vous croyez et l'argent n'est pour rien dans son changement de caractère. Le pauvre garçon n'a pas pour deux sous de méchanceté, son pire défaut est de prétendre connaître tout le monde. J'ai quelquefois envie d'inventer des personnages imaginaires pour voir s'il ne me dira pas qu'il est leur ami intime. Il a fait depuis qu'il est ici deux jolis tableaux dont un d'après nature - enfin quand vous serez, ici nous verrons.
Vous seriez bien gentille de m'envoyer tout de suite le plus petit bouchon que vous trouverez, vous me parlez de 22 centimètres de diamètre mais ce doit être une erreur le bouchon serait plus large qu'une assiette. Voici tant de mois que je cherche ce bouchon minuscule que je suis décidée à m'accommoder n'importe duquel pour que cette affaire soit terminée. Je compte sur vous chérie tout en vous demandant pardon de vous tracasser ainsi. Prévenez-nous du jour de votre arrivée et que ce soit le plus tôt possible. Voulez-vous que je prépare un peu la villa que je fasse du feu etc... A bientôt cette fois chérie et mille baisers en attendant. Judith".
Elle ajoute sur un feuillet supplémentaire : "Mouillon prospère l'Etat achète son tableau ["Le Petit chemin à Saint-Enogat" est aujourd'hui au Musée de Pontoise] Melle Purvis lui en commande et ses élèves augmentent. Quel beau métier que la peinture. A bientôt Mignonne adorée, dites moi ce que je puis pour vous. Voulez-vous des livres, des journaux ? J'ai bien peu de ressources dans ce trou où il n'y a rien. Lilith et sa famille vous saluent. Fricka fait pipi en votre honneur! Le pauvre Fafnor est bien malade. Mille baisers, chérie. Judith".
Au verso de ce feuillet figure un charmant dessin à la plume, occupant toute la page, figurant la "Villa de la mer" sa villégiature bretonne surplombant les rives de Saint-Enogat, animée de quelques personnages.
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