Voltaire et Mme Denis s’occupent du sort des « émigrants » et demandent un prix juste pour le pain
François-Marie Arouet dit Voltaire (Paris, 1694/1778)Belle lettre signée conjointement par Voltaire et sa nièce et compagne Mme Denis, prenant la défense des émigrants face à certains qui voudraient tirer profit de leur détresse.
Ils dénoncent une querelle fiscale avec un Genevois du nom de Vernet : "Vraiment, Monsieur, nous avons toujours paié les vingtièmes pour toutes les pièces qui composent le territoire de l'hermitage. Mais vous sentez bien quelle est la chicane du genevois Vernet. Vous devez avoir vu par l'aveu du nommé Le Sage qu'il agit pour Vernet même, qu'il veut nous faire paier en détail pour les champs et prés cy devant appartenant à Pasteur pour lesquels nous avons déjà payé en gros. Il veut faire accroire que ces pièces ne sont point de l'ermitage acheté des choudens, mais qu'elles appartenaient à ce pasteur dont il a acheté pour cent écus le bien qui lui restait et qui vaut quinze mille livres, à ce qu'on m'a dit.
Nous vous répétons, Monsieur, que nous avons les actes par lesquels feu Pasteur vendit aux Choudens ce pré et ce champ ; et les actes par les quels Choudens nous vendit le tout pour la somme de six mille livres. C'est sur ces actes mêmes que le rejet est spécifié, et c'est malgré ce rejet que Vernet fait agir le nommé Le Sage, et demande avec absurdité le paiement de la taille que nous ne devons point, et le paiement des vingtièmes que nous avons faits régulièrement. Le ridicule de cette chicane saute aux yeux, et voiez assez dans quel esprit Vernet fait cette tentative. En un mot, nous ne devons rien, et nous ne souffrirons pas que des genevois aient l'insolence de nous vexer dans le roiaume. Aiez la bonté de relire les propositions du nommé Le Sage faittes au nom de Vernet, et vous en serez indigné".
Puis Voltaire, philanthrope, dénonce la situation sociale urgente des émigrés et accuse un certain Ruffo de chercher à tirer profit de leur détresse : "A l'égard du Sr Raffo vous voiez clairement, Monsieur , qu'il veut abuser de la nécessité où sont les émigrants d'être logés. Les choses nécessaires ne doivent pas être survendues ; il faut un prix raisonable au pain et aux maisons. Je suis très persuadé que vous pouvez marquer pour les émigrants le logement de Raffo savoiard comme on marque des logements pour les troupes. Mr. Le Duc de Choiseul trouve très bon actuellement qu'on loge chez Vernet, et trouvera très bon qu'on loge dans notre village avec le consentement du Seigneur. Quand vous aurez donné un ordre aux émigrants de loger chez Raffo, il sera juste d'assigner un loier proportionné au prix que lui a couté la maison. S'il veut la vendre on pourra lui donner aussi quelque chose au delà du prix de l'achat.
Mais nous pensons que vous êtes en droit d'assigner cette maison aux émigrants en considération de la nécessité pressante, et l'utilité d'une fabrique qui fait déjà des progrès sensibles. Nous nous en remettrons à vôtre prudence et à vôtre bonne volonté [...]".
Voltaire était installé à Ferney depuis 1759, et s'employait à transformer son domaine et cette province en un foyer industriel et intellectuel, y attirant artisans, réfugiés et philosophes. Cette lettre témoigne de sa gestion de ses terres, de ses propriétés et de ses manufactures, mais aussi de son obstination à défendre sa liberté et son autorité face aux tentatives d’ingérence extérieure.
Lettre publiées dans la Correspondance de Voltaire, Gallimard, 1964, p. 287.
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