Marcel Proust dit son admiration à Robert de Montesquiou, malgré l’humiliation dont il se sent l’objet
Marcel Proust (Paris, 1871/1922)"Mon cher Maître. "Cette marque d'honneur qu'Il met dans la famille" (Le Cid Acte 1er) [scène III, tirade de Don Diègue] nous touche tous infiniment et je vous remercie de tout mon coeur de bien vouloir venir Samedi (et non vendredi comme le porte votre lettre). Quant au rôle de commis voyageur de votre esprit qui n'en avait pas besoin, j'y ai dès longtemps renoncé et pour vous faire plaisir, le reprendre est la seule chose que je ne ferais pas. Alors, en effet, par l'effet qui entraîne le corps à la suite de l'âme, la voix, l'accent se rythmaient sans doute sur l'allure de cette pensée empruntée".
Proust, qui dément s'être moqué de Montesquiou lors d'un diner chez Daudet, lui réaffirme son admiration : "Si l'on vous a dit plus et si l'on a parlé de caricature, j'invoque votre axiome : « un mot répété n'est jamais vrai ». Je suis fort à l'aise, moi, si scrupuleux et inquiet pour le reste de ma vie, quand il s'agit de vous, n'ayant jamais laissé déborder sur les autres que mon admiration pour vous qui, Dieu merci, n'est pas près de tarir. Aussi j'ai été un peu humilié en voyant que mes « dernières créations », comme vous dites, étaient prises en un sens fort peu créateur et que vous me parliez avec la bonne grâce méprisante qu'un Fusier [Charles Fuster selon Kolb] peut inspirer. Non, je vous enverrai ma dernière création, une très triste nouvelle, qui, hélas et heureusement, est aussi une imitation de vous [il s'agit de "La Mort de Baldassare Silvande", parue dans la Revue Hebdomadaire du 29 octobre 1895 , qui est la dernière nouvelle de Proust qui ait paru de son vivant]. Dans l'espoir que vous le goûterez je vous enverrai ce rayon artiste dérobé à la ruche triste au pied de laquelle je dépose mes respects bien affectueux et bien admiratifs. Marcel Proust".
Robert de Montesquiou et Marcel Proust vécurent une longue et tumultueuse amitié : les centaines de lettres que Marcel Proust lui avait écrites entre 1893 et 1921, furent achetées aux enchères (1923-1924) par le frère de l'auteur, Robert Proust, et réunies pour constituer le premier volume de la Correspondance générale de Marcel Proust (Plon). Cet ensemble fut ensuite remis sur le marché en 1954.
Lettre publiée dans la Correspondance de Proust par Kolb I, p. 449 à 451, n° 296.
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