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Magnifique lettre désespérée d’Isabelle de Montolieu à Adrien de Lezay-Marnésia

Isabelle Montolieu (de) (Lausanne, 1751/1832)
Romancière suisse, amie de Jean-Jacques Rousseau.

Type de document : lettre autographe signée

Nb documents : 1 - Nb pages : 6 pp. - Format : In-4

Lieu : Bussigny (canton de Vaud)

Date : 2 octobre [1800]

Destinataire : Adrien de Lezay-Marnésia (1769-1814), diplomate et préfet français.

Etat : Bon. Petit manque de papier par bris du cachet avec minime atteinte au texte.

Description :

Longue et magnifique lettre d'Isabelle de Montaulieu, à son grand ami Adrien de Lezay-Marnésia.

Elle se confie sur son désespoir littéraire, après ses vaines tentatives de faire publier Engelman.

"Ce n'est que ce matin, mon adorable ami, que votre livre et la petite lettre qui l'accompagnait me sont parvenus. Je vous remercie du fond du coeur de l'un et de l'autre. Je vais le relire d'abord tout entier et puis placer dans ma mémoire les morceaux qui me plairont le plus - et je sais déjà que je trouverai beaucoup : peut-être qu'à force de lire et d'apprendre de beaux vers, ma pauvre verve poétique se ranimera. Elle est ainsi que mon imagination, absolument éteinte ; et depuis plus de 5 ans, il n'a pu sortir une seule rime de mon cerveau. Je ne puis même me vanter d'avoir jamais eu ce talent : 200 vers comme les vôtres ou comme ceux de l'abbé Delisle me paraissent le plus grand effort de l'esprit humain. Je n'ai fait de ma vie que quelques romances, quelques mauvais vers de circonstance, l'Epitre de Caroline, celle de la Silphide et ce petit morceau sur Werther dédié à mon ami Mathieu. Sans doute que mon ami Adrien père est bien plus fait encore pour m'inspirer ; mais son talent supérieur ne doit pas aussi m'effrayer - et peut-on mettre à la tête du charmant poème des Paysages, des vers qui seraient si inférieurs au reste de l'ouvrage. Ceci n'est point un compliment ni une fausse modestie, c'est la vérité même, et je crois que la vraie raison qui m'a fait cesser absolument de rimer, c'est que mon goût s'est formé en lisant de beaux vers, et que je n'étais plus contente de ceux que je pouvais faire. Il en est bien de même de la prose. Je suis devenue si sévère pour ce que j'écris, que je ne trouve plus rien digne de l'impression, et que je déchire à mesure. Je n'ai fait autre chose tout cet été que de griffoneer et de déchirer. Ce mauvais succès de mon pauvre Charles Engelman a achevé de me décourager. Imaginez que Pougens m'assure qu'aucun libraire n'en a voulu, et ce qu'il y a de plus cruel, c'est qu'on me le garde [Tableau de famille ou Journal de Charles Engelman, sera finalement publié chez Debray, en 1801]. Sans quoi je serais bien tentée de leur prouver en le faisant imprimer à mes frais qu'ils ne savent ce qu'ils font en le refusant. Mais alors il m'arriverait comme avec ma pauvre Silphide, et comme avec Caroline, une ou plusieurs contrefaçons viendraient à la traverse de mon édition. Je vois que le métier d'auteur est trop difficile - ou dépend trop des libraires qui sont de petits tyrans. J'avais cependant grand besoin de ce moyen de gagner un peu d'argent, mais c'est au contraire une ruine. Engelman me côute déjà en copie en port de lettres, en ennuis, plus qu'il ne me rapportera ; peut-être aurais-je mieux réussi en m'adressant à d'autres qu'à Pougens. Cependant, j'ai écrit aussi directement à ce Louis dont vous me parlez, et qui prétend m'avoir des obligations, et il m'a repoussée aussi, soit pour Engelman, ou pour l'édition complète dont vous me parlez. Je vais encore faire un essai avec un citoyen Gide, librairie à Paris, que j'ai eu l'occasion de voir cet été, et qui m'a paru très honnête. S'il ne réussi pas, je renonce pour la vie à la littérature pour mon propre compte, et je cultiverai mes choux en lisant les Paysages, les jardins et l'homme des champs. Vous l'avez lu sans doute, ce nouveau poème, de votre Emile en poésie [l'abbé Jacques Delille]. Dites-moi ce que vous en pensez [...]. Ce n'est point la peinture de l'homme des champs, c'est une suite de tableaux charmants qui manquent un peu d'ensemble. Le premier champ me parait supérieur [...]".

Elle évoque ensuite "l'arrivée de la paix" avec le congrès de Lunéville et l'envoi dune ambassade suisse. "J'aurais désiré avec passion que mon fils put en être. Je lui crois des talents pour cette partie là, et lui même en avait une grande envie, mais cela n'a pu s'arranger, il était trop jeune pour être envoyé en chef. Nous aurons d'ailleurs notre grand diplomate Glayre, qui semble fait exprès, et mon Henry est trop élevé en dignité pour redescendre à la place d'un simple secrétaire [...]. Je ne sais quel malheureux nuage s'est répandu entre vos enfants et moi. Je crois qu'il n'y ait là dedans quelque tripotage d'une femme qui est sujette à en faire ; je sais que je n'ai rien du tout à me reprocher, bien au contraire [...]. Je regrette en silence de n'avoir pas mieux su mériter leur amitié ; j'espère au moins conserver celle de leur père [...]".

Adrien de Lezay-Marnésia (1769-1814), qui publia des essais politiques et des recueils poétiques, avait émigré en Suisse en 1793, et rentra en France sous le Consulat pour devenir diplomate et préfet.

Lettre signée "Isabelle". Encre brune sur papier vergé filigrané. Adresse au verso du feuillet simple. Fragment de cachet de cire noire.

Vendu